Rédaction achevée le 29 juin 2016

Edito

L'analyse de Thierry Masset

Cher investisseur,

Les Anglais ont décidé de tourner le dos à l’Union européenne (UE) et de voler de leurs propres ailes. Mais pour que le Royaume-Uni sorte effectivement de l’UE, encore faut-il que le résultat du référendum reçoive l’aval du parlement britannique. Comme le camp des partisans du « Brexit » ne recueille qu’une victoire étriquée, il n’est pas évident que le gouvernement puisse, compte tenu de la faiblesse de sa majorité parlementaire (17 voies), obtenir de la Chambre des communes le mandat pour entamer les discussions de sortie de l’UE. Il est, en effet, difficile de prédire la manière dont vont voter les travaillistes (Labour), les nationalistes écossais (SNP), les libéraux démocrates (Lib Dems) et, surtout, les pro-européens du parti conservateur (Conservative).

Pour renforcer encore l’incertitude économique et politique, le Premier ministre David Cameron ne devrait passer la main qu’en septembre, retardant ainsi les négociations de sortie de la Grande-Bretagne, au grand dam des dirigeants européens qui souhaitent clarifier la situation au plus vite. Ce qui signifie que le risque politique va vraisemblablement rester prégnant tout au long de la deuxième partie de l’année.

L’absence de précédents ne permet pas de faire une estimation précise de l’impact économique du Brexit. D’autant que ce scénario et ses répercussions dépendent aussi de deux facteurs inconnus : les mécanismes de séparation entre l’Angleterre et l’UE et les renégociations potentielles des accords commerciaux. Sans oublier la réaction des banques centrales britannique (BoE) et européenne (BCE) qui pourrait atténuer l’impact du Brexit sur leurs économies respectives. Les mesures que les autorités monétaires pourraient être amenées à prendre vont des injections de liquidités aux interventions directes sur le marché des changes. Une intervention concertée à plus grande échelle des banques centrales ne devrait être envisagée que si d’aventure les marchés devaient réagir de manière excessive.

Bien que l’on ne puisse pas anticiper précisément l’ampleur du stress financier et la façon dont il affectera le comportement des consommateurs et des entreprises, il paraît évident que son effet sur la confiance des acteurs économiques et les marchés du crédit et des devises pourrait générer un choc négatif sur l’économie du Royaume-Uni et, dans une moindre mesure, sur l’activité européenne. Nos économistes estiment que la sortie de la Grande-Bretagne de l’UE pourrait déprimer la croissance britannique à hauteur de 1,2-2% d’ici fin 2017, contre 0,3-0,7% pour la croissance dans la zone euro.

La crainte des investisseurs internationaux est qu’une fragmentation de l’espace européen déstabilise les marchés financiers et les échanges commerciaux et pénalise, du même coup, une économie mondiale déjà confrontée à la menace déflationniste induite par la faiblesse des matières premières et le ralentissement chinois. Le départ du Royaume-Uni pourrait alimenter les revendications séparatistes et donner du grain à moudre aux partis populistes du Vieux continent et ce même si nous écartons l’hypothèse d’un éclatement de l’UE. Le départ volontaire de la Grande-Bretagne augmente la probabilité qu’un autre pays de la zone euro en difficultés économiques soit tenté d’abandonner la monnaie unique. Cela pourrait, par exemple, être le cas de l’Italie si d’aventure il devait emprunter sur le marché obligataire à des taux d’intérêt plus élevés.

L’incertitude ambiante pourrait, dès lors, mettre sous pression les devises moins liquides (comme les couronnes suédoise et norvégienne et les monnaies d’Europe de l’est) et accroître la prime de risque de l’ensemble des actifs à risque et, en particulier, ceux libellés en livre sterling et en euro, les investisseurs étant susceptibles de réduire leur exposition ou d’exiger des rendements plus élevés pour compenser le risque encouru.

L’important déficit des comptes courants britannique rend le pays plus vulnérable que par le passé aux changements de sentiment dans le chef des investisseurs et aux variations des flux d’investissements directs en provenance de l’étranger. Si les capitaux étrangers se montrent moins enclins à financer le déficit anglais, cela mettra immanquablement la livre sterling sous pression et, par contagion, l’euro. L’affaiblissement de la livre sterling face aux principales devises internationales devrait soutenir les grandes capitalisations britanniques essentiellement tournées vers l’export, mais pénaliser les entreprises actives sur le sol anglais. L’indice JPMorgan Chase reprenant ces sociétés les plus à risque en cas de Brexit (comme Next, Barclays et Royal Bank of Scotland) ont vu leur cours plonger de 35% cette année. Elles n’ont plus autant sous-performé l’indice FTSE des 350 principales sociétés britanniques depuis 2013 !

Dans le même temps, l’incertitude économique va soutenir un mouvement de fuite vers la qualité et stimuler la demande pour les emprunts d’Etat anglais (le rendement des Gilts à 10 ans a récemment touché un plus bas depuis au moins 1989 de 0,94%) et allemands ainsi que l’or, la BoE et la BCE étant contraintes de maintenir durablement bas leurs taux directeurs pour stimuler leur économie.

A contrario, les actions continentales et les dettes souveraines de la périphérie européenne devraient sous-performer. Il ne fait pas de doute que la BCE interviendra pour contrecarrer une envolée des rendements obligataires dans les pays de la périphérie européenne, mais il y a une limite politique au montant de dettes que la BCE peut acheter. Le hic c’est que personne ne sait à combien se monte cette limite. Ce qui est, en soit, une source d’incertitude majeure et pas seulement pour la zone euro mais pour l’ensemble du système financier.

Dans ce contexte et compte tenu de la longue liste de risques auxquels sont confrontés les marchés, nous préférons conserver notre positionnement prudent à l’égard des actifs à risque. Pour rappel, nous avons décidé à la fin de l’année dernière de réduire notre exposition aux actions pour prendre en compte l’éventualité d’un Brexit mais aussi l’instabilité politique dans la zone euro, sans oublier le changement de cap monétaire de la Réserve fédérale américaine, la reprise chinoise qui pourrait battre à nouveau de l’aile, des élections présidentielles US extrêmement polarisées, notre scepticisme quant à la pérennité du rebond des cours des matières premières et une liquidité structurellement plus faible sur les marchés financiers.

Des marchés dont la toile de fond reste dominée par une croissance atone et des surcapacités industrielles qui se traduisent par une croissance bénéficiaire négative, des banques centrales accommodantes, des rendements obligataires durablement bas et des devises volatiles. Un environnement qui a des implications directes sur notre positionnement en actions – nous préférons les valeurs défensives et de qualité par rapport aux valeurs cycliques – et sur le marché des mat



Thierry Masset, Chief Investment Officer ING Belgium