JUIN 2016

Obligations

Les investisseurs cherchent à se protéger du Brexit

  • La préférence affichée par les investisseurs mondiaux en faveur des actifs plus sûrs à la suite de la décision des Britanniques de quitter l'Union européenne a augmenté le montant colossal d'obligations d'État à rendement négatif de 380 000 milliards de dollars. Selon les indices Bloomberg des obligations souveraines mondiales, les titres affichant des rendements négatifs s'élèvent actuellement à un montant de 8 730 milliards de dollars, alors qu'ils représentaient déjà 8 350 milliards de dollars avant le scrutin. Au sein de la zone euro, les obligations allemandes de référence ayant une maturité jusqu'à dix ans sont négatives (leurs rendements ayant dégringolé jusqu'à -0,17 %, soit le taux le plus faible depuis que Bloomberg a commencé à recueillir les données en 1989, tandis que les échéances des titres à deux ans ont chuté à un niveau record de -0,74 %) et que les rendements japonais à dix ans, ont quant à eux atteint un taux plancher record de -0,215 %.
  • Le départ du Royaume-Uni du premier marché unique au monde a fait naître des spéculations sur la mise en cause du projet européen dans son ensemble si d'autres nations tentent d'organiser des référendums similaires.
  • Certains signes d'agitation économique et politique ont commencé à apparaître en raison de la démission envisagée du premier ministre, David Cameron, et du report des négociations sur la sortie, alors que les dirigeants européens souhaitent que les négociations commencent immédiatement. Il semble que la seconde moitié de l'année sera dominée par les risques politiques et que les actifs plus risqués feront les frais des valeurs refuges.
  • Au sein des risques mondiaux, le Brexit a pesé dans la descente aux enfers des rendements. Du fait des difficultés des banques centrales à ranimer la croissance économique et l'inflation, les investisseurs se ruent également sur les titres obligataires. Les dirigeants politiques européens (BCE) et japonais (BoJ) continuent d'appliquer des plans de relance sans précédent, et les traders émettent des prévisions plus pessimistes concernant le moment de relèvement des taux par la Réserve fédérale (Fed).
    • Les signes de ralentissement de la croissance aux quatre coins de la planète ont encouragé la Fed à reporter le relèvement des taux d'intérêt (voir les observations plus détaillées dans la partie intitulée « Dans l'actualité »).
    • La chute des rendements obligataires met également des bâtons dans les roues du programme d'assouplissement quantitatif de la BCE. Conformément à ses propres restrictions, la BCE ne peut acheter de titres dont les rendements sont inférieurs à son taux de dépôt de -0,4 %. Suivant l'indice Bloomberg des obligations souveraines allemandes, environ la moitié des obligations allemandes, qui constituent la majeure partie des rachats, ne peuvent donc participer au programme.
  • Dans ce contexte, JPMorgan Chase s'attend encore à des rendements historiquement bas, avec des émissions nettes prévues pour cette année à 1 860 milliards de dollars et des achats nets estimés à 1 740 milliards de dollars. Si ces chiffres montrent que l'offre dépassera toujours la demande pour la cinquième année consécutive, le principal enseignement pour la banque est que le fossé entre l'offre et la demande – le volume d'émissions excédentaires – devrait se resserrer pour atteindre un niveau qui n'a plus été atteint depuis 2009. Selon les calculs de JPMorgan, l'offre pourrait dépasser les achats nets de 119 milliards de dollars (en net) cette année, contre une différence de 566 milliards de dollars l'année passée. Cela constituerait le plus important bond en avant de la demande depuis 2009, lors de la pire crise financière enregistrée depuis la Grande Dépression.
  • Ce contexte favorable s'explique par la diminution des emprunts des gouvernements, dictée par les mesures d'austérité, et l'augmentation des achats d'obligations par les banques centrales. Ces dernières ont englouti plus de 12 000 milliards de dollars d'actifs depuis la crise financière, dans le but de soutenir la croissance et éloigner le spectre de la déflation.
    • Du côté de l'offre, les émissions des États sont en train de diminuer, comme on peut le constater sur le marché obligataire US, le plus important au monde, après quatre années de reprise économique et de contraction du déficit fédéral.
    • Du côté de la demande, même si la Fed ne procède plus à des achats massifs, la BoJ et la BCE sont toujours en plein programme d'assouplissement quantitatif et continuent d'inonder le marché de liquidités, ce qui pourrait exercer une pression à la baisse sur les rendements souverains du monde entier, États-Unis compris. En effet, les achats combinés de la Fed, de la Banque d'Angleterre, de la BCE et de la BoJ continuent d'augmenter en pourcentage des différents PIB combinés. En mars, la BCE a d'ailleurs annoncé qu'elle relèverait le montant mensuel de ses achats d'actifs de 60 milliards d'euros à 80 milliards d'euros et qu'elle commencerait aussi à acheter des obligations d'entreprise. Cette demande, combinée aux achats nets des fonds obligataires estimés à 379 milliards de dollars cette année (263 milliards en 2015), devrait, selon JPMorgan, suffire à compenser les ventes réalisées notamment par les fonds souverains et les gestionnaires de réserves (ventes estimées à 380 milliards de dollars).
  • Cette équation de l'offre et de la demande signifie que les rendements vont encore baisser, car les investisseurs vont pousser les cours à la hausse sur un nombre de moins en moins important de titres disponibles. Or, le rendement moyen des obligations souveraines des pays développés est déjà passé de 1,02 % à 0,53 % à la fin de l'année passée.
  • La performance des actifs à revenu fixe dans le monde en 2016 confirme le point de vue de JPMorgan. Alors que les investisseurs sont à la recherche d'un refuge contre la volatilité (actions, matières premières et Chine), ils ont eu un peu de mal à absorber toutes les dettes supplémentaires : les obligations souveraines ont, par conséquent, rapporté 11 % (en euros) en 2016, le début d'année le plus solide depuis que Bank of America Merrill Lynch a commencé à suivre ces statistiques en 1997.
  • La solidité de la demande jouera un rôle vital, car l'explosion du marché obligataire mondial (de 70 000 milliards de dollars en 2007 à environ 100 000 milliards de dollars) pourrait laisser penser qu'une bulle s'est créée et est désormais prête à éclater. Les gestionnaires préoccupés par les perspectives économiques et à la recherche d'un surplus de rendement n'en font qu'à leur tête et se tournent de plus en plus vers des maturités plus longues et plus risquées, poussant ainsi les rendements plus de deux fois plus bas qu'il y a dix ans. Près de 9 000 milliards de dollars de dettes affichent désormais des taux négatifs, ce qui signifie que les investisseurs qui achètent ces titres aujourd'hui et les gardent jusqu'à leur échéance sont disposés à perdre de l'argent !
  • La situation est relativement compliquée. Il faut éviter que les risques pesant sur les actifs considérés comme des valeurs refuges augmentent alors que les rendements ne cessent de baisser. Si le compromis qui consiste à perdre un peu d'argent en échange de la sécurité offerte par les obligations d'État reste acceptable aux yeux des investisseurs prudents, d'importants risques n'en restent pas moins présents.
    • L'année passée, le spectre de la déflation et l'instauration par la BCE d'un programme d'assouplissement quantitatif (QE) ont fait baisser le rendement moyen des dettes de la zone euro à un plancher historique de 0,475 % et le rendement des Bunds allemands à quasiment 0 %.
    • Dans les mois qui ont suivi, les rendements sont brusquement repartis à la hausse après quelques signes encourageants concernant l'économie de la région.
    • À la mi-juin, les rendements des emprunts allemands à plus long terme avaient gagné plus d'un point de pourcentage, entraînant ainsi une perte record de 13 % pour les investisseurs sur le trimestre.
  • Malgré ces réserves, beaucoup d'investisseurs ont acheté des obligations proposant des taux négatifs ces derniers mois, à défaut d'autres solutions.
    • Une réponse aux mesures exceptionnelles prises par des banques centrales comme la BCE et la BoJ, qui ont fait passer leurs taux en négatif et ont décidé d'acheter encore davantage d'obligations souveraines, afin d'essayer de relancer leurs économies. En février, l'Organisation de coopération et de développement économiques a revu à la baisse sa prévision de croissance mondiale pour 2016 de 3,3 % en novembre à 3 %, évoquant des risques considérables pour la stabilité financière. Dans une enquête réalisée par Bloomberg, la plupart des économistes interrogés estiment également que la BCE maintiendra des taux négatifs jusqu'au premier trimestre de 2018 au plus tôt et la BoJ jusqu'au moins la fin de la même année.
    • La volonté des investisseurs obligataires de payer en réalité les gouvernements pour pouvoir emprunter (un tiers des emprunts souverains des pays développés affichent des taux négatifs) prouve également qu'ils se posent des questions à propos de l'efficacité des politiques menées par les banques centrales. En fait, ils se demandent même si toutes ces mesures ne finiront pas par faire plus de mal que de bien à l'économie mondiale. Malgré les milliards injectés par les banques centrales de par le monde depuis la crise financière dans le cadre du QE et les taux d'intérêt négatifs instaurés dans vingt-quatre pays environ, les prévisions d'inflation du marché (1,1 %) restent coincées aux mêmes planchers qu'après la crise financière. La faiblesse des cours des actions et des matières premières pèse sur l'inflation et pousse les investisseurs à se réfugier dans les obligations d'État.
  • En conclusion : les investisseurs obligataires sont de plus en plus confrontés à une nouvelle réalité, dans laquelle les taux négatifs sont devenus la norme en raison des craintes autour de l'économie mondiale... Dans ce contexte, nous préférons conserver notre positionnement neutre sur les obligations et nous continuons de privilégier les titres « investment grade ».
  • Si les obligations souveraines performent bien cette année, celles émises par les entreprises européennes de bonne qualité crédit (« investment grade ») ne sont pas en reste. Ces dernières profitent, notamment, du fait que la Fed ne semble pas vouloir brusquer son processus de resserrement monétaire pour ne pas entraver la reprise US. Depuis le début de l’année, les obligations gouvernementales des pays industrialisés font état d’un return moyen de 5,5 %, alors que celui des obligations d’entreprises de bonne (« investment grade ») et moins bonne qualité crédit (« high yield ») oscille entre 3,4 % et 5,2 %. Dans un même temps, l'indice boursier MSCI Monde a perdu 3,8 % (en euros), dividendes réinvestis inclus.

2.1 Obligations souveraines périphériques de la zone euro : neutre (par rapport aux obligations du « noyau dur » de la zone)

  • Le Royaume-Uni s'est vu retirer son excellente note de crédit et Fitch Ratings, en dégradant sa note, abat également son couperet face à la décision de quitter l'Union européenne qui a plongé le pays dans la paralysie politique et économique.
    • S&P a dégradé la note de deux crans de AAA à AA, en arguant le risque d'un cadre politique moins prévisible, stable et efficace au Royaume-Uni. Fitch a diminué la sienne d'un cran, à un niveau équivalent, avançant la probabilité d'un « ralentissement abrupt » de la croissance économique.
    • Les deux notes sont assorties de perspectives négatives, ce qui reflète les risques pour les perspectives économiques et le statut de la livre en qualité de monnaie de réserve ainsi que l'éclatement possible du Royaume-Uni si le Brexit entraîne un autre référendum sur l'indépendance de l'Écosse.
    • Le dernier pays du Groupe des sept auquel S&P avait infligé une réduction de deux crans était l'Italie au moment de l'apogée de la crise de la dette dans la zone euro en janvier 2012.
  • Cette dégradation intervient au moment où les investisseurs se ruent en masse sur les obligations d'État britanniques dans un contexte de spéculation où la Banque d'Angleterre (BoE) se verra contrainte d'abaisser ses taux d'intérêt pour écarter le risque de récession. La gilt à dix ans est tombée en deçà de 1 % pour la première fois tandis que la livre a continué de se déprécier d'une manière qui n'avait plus été observée depuis 1985.
  • À l'heure où le résultat du scrutin britannique sonne l'alarme pour les investisseurs qui voient un risque dans la montée des partis opposés à l'euro en Europe, la dette souveraine des pays périphériques de l'Union européenne, affiche des résultats insuffisants. Selon les indices Bloomberg des obligations mondiales, cette année, les obligations d'État italiennes ont enregistré un rendement de 2 % tandis que les investisseurs de la dette souveraine espagnole ont dégagé du 3,6 %. Il s'agit pour les deux actifs d'un rendement inférieur à celui des bunds allemands (6,7 %).
  • La Banque centrale européenne a protégé les marchés dans une certaine mesure (abaissement des taux d'intérêt, amplification de l'assouplissement quantitatif et mise en place de nouveaux prêts à long terme pour les banques), mais toutefois les préoccupations croissantes au sujet des créances douteuses et de la rentabilité des banques couplées à l'instabilité politique continuent d'alimenter l'état d'anxiété du marché européen. En Italie, les mauvaises créances des banques ont atteint un montant record de 360 milliards d'euros et ce, alors que la faiblesse des taux d'intérêt pèse sur les marges bénéficiaires.
  • Par ailleurs, les avantages de la stratégie de la BCE pourraient être éphémères : les rendements se sont en effet repliés davantage en territoire négatif depuis que la BCE et son président Mario Draghi ont abaissé le taux de dépôt en décembre 2015. La volonté des investisseurs obligataires de payer en réalité les gouvernements pour pouvoir emprunter prouve qu'ils se posent des questions à propos de l'efficacité des politiques menées par les banques centrales. En fait, ils se demandent même si toutes ces mesures mêmes ne finiront pas par faire plus de mal que de bien à l'économie mondiale.
    • Malgré les milliards injectés par les banques centrales de par le monde depuis la crise financière dans le cadre du QE et les taux d'intérêt négatifs instaurés dans vingt-quatre pays, les prévisions d'inflation du marché restent coincées aux mêmes planchers qu'après la crise financière.
    • Dans un rapport, le FMI explique qu'un regain d'instabilité sur les marchés pourrait entraîner une boucle de rétroaction négative avec un recul de la confiance, un ralentissement de la croissance, une baisse de l'inflation et une hausse des endettements. Selon le fonds, la santé financière pourrait être fragilisée au point d'affecter négativement la croissance économique et la stabilité financière à moyen terme. Le rapport envoie un message clair aux autorités : soit elles évitent la stagnation et la production mondiale pourrait grimper de 1,7 % par rapport aux projections de base d'ici à 2018, soit elles ne le font pas et la production pourrait alors baisser de 3,9 % par rapport au scénario de base d'ici à 2021.

2.2 Emprunts émergents en devises fortes (neutre) et en devises locales (sous-pondérer)

  • La stabilisation du dollar (au terme d'un rallye de trois ans) est une bonne nouvelle pour les emprunteurs des marchés émergents à court de liquidités. En maintenant le loyer de l'argent à un niveau faible et en laissant se déprécier leurs monnaies, la Réserve fédérale (Fed) et la Banque centrale européenne (BCE) sont en train de bouleverser la donne pour les émetteurs émergents (+12,5 % en rythme annuel). En ce qui concerne les pays qui cherchent à combler leurs trous budgétaires, ce rebond constitue une promesse sur le long terme. Les émetteurs souverains, les établissements financiers et les entreprises devraient de plus en plus faire appel au marché des capitaux international pour leurs besoins de financement et de refinancement.
  • Cela explique pourquoi la prime de rendement que les investisseurs exigent pour détenir des obligations émergentes plutôt que des Treasuries US a chuté à 340 points de base, selon l'indice des obligations émergentes en USD de Bloomberg. Cette prime avait atteint un plus haut sur quatre ans de 400 points de base en novembre 2015, en raison des craintes d'une contagion du ralentissement chinois et de ses répercussions sur les prix pétroliers.
  • Difficile de rivaliser avec Janet Yellen qui a inondé le marché obligataire de liquidités pendant dix ans, mais Mario Draghi fait son possible. Ainsi, les mesures de relance extraordinaires prises par la BCE sont en train d'attirer les emprunteurs du monde émergent. Résultat, les émissions de dettes émergentes effectuées dans la monnaie unique ont atteint un montant record de 40,2 milliards d'euros depuis le début de l'année, selon des données compilées par Bloomberg. D'après une prévision de Société Générale, les gouvernements utiliseront l'euro pour 40 % de leur financement cette année, une proportion totalement inédite.
  • Les financements en euros resteront populaires principalement en raison de la divergence de politique monétaire aux États-Unis et dans la zone euro. Mario Draghi a abaissé le taux directeur de la région à 0 % et a relevé le montant des achats mensuels de la BCE à 80 milliards d'euros – dans le but de sortir les économies de la région de la stagnation – trois mois après la décision (le 16 décembre) de Janet Yellen de mettre fin à une période sans précédent de taux d'intérêt bas en relevant le taux des Fed Funds pour la première fois depuis 2006. Si la Fed a indiqué qu'elle n'était pas pressée d'augmenter ses taux, elle a tout de même laissé la porte ouverte à un nouveau resserrement.
  • Les émissions pourraient néanmoins être de nouveau freinées par la volatilité.
    • Les problèmes de fond tels que le ralentissement de l'économie chinoise, les tensions géopolitiques et l'évolution des prix pétroliers n'ont pas encore été résolus et le risque que les spreads repartent à la hausse est donc élevé.
    • Les investisseurs craignant une éventuelle seconde vague de défauts de paiement aux États-Unis devraient se préoccuper encore davantage de la situation sur les marchés émergents. Moody's Investors Service a indiqué que les défauts de paiement s'élevaient actuellement à environ 4 % et qu'ils pourraient grimper jusqu'à 14,9 % d'ici à la fin de l'année dans le scénario le plus pessimiste. Sa prévision la plus optimiste fait état d'un taux de 5,05 %. Selon Standard & Poor's, le nombre de défauts de paiement enregistrés en 2015 (26) sur les marchés émergents n'avait plus été aussi élevé depuis 11 ans. Une étude publiée par Moody's en février 2009 avait montré que le taux de défaut au niveau des émissions à haut rendement sur les marchés émergents pouvait atteindre jusqu'à 22 % dans les cinq années qui suivent de graves crises bancaires ou souveraines.
    • Autre source d'inquiétude : en janvier, Fitch Ratings a indiqué que 24 % des sociétés dans sept des principaux pays émergents avaient levé des fonds à l'étranger, ce qui les rend plus vulnérables à une dépréciation des devises, un problème que connaissent bien les émetteurs chinois. Fitch a également fait savoir que la proportion des banques et des émetteurs souverains couplés à une perspective négative n'avait plus été aussi élevée depuis 2009. Dans son analyse de la situation au Brésil, en Inde, en Indonésie, au Mexique, en Russie, en Afrique du Sud et en Turquie, l'agence de notation montre que la dette du secteur privé a grimpé à 77 % du PIB à la fin de 2014, contre 46 % en 2005. Une autre vague de défauts aux États-Unis provoquera un véritable tsunami sur les marchés émergents.

2.3 Obligations d'entreprise « investment grade » (notes supérieures ou égales à « BBB- ») : légèrement surpondérer

  • Les investisseurs tablent sur le fait que l'instabilité provoquée par le Brexit forcera la Banque centrale européenne (BCE) à accélérer sont programme de rachats d'obligations des entreprises, mis en place il y a quatre semaines. Les rendements des obligations d'entreprise libellées en euros éligibles aux rachats de la Banque centrale européenne (celle-ci pouvant uniquement acheter des obligations émises par des établissements non financiers en euros, ayant une cote de crédit de qualité d'au moins un cran) ont chuté depuis que le Royaume-Uni a décidé de quitter l'Union européenne, contrairement à la hausse observée pour des titres financiers bénéficiant d'une note similaire qui sont exclus du programme.
    • En raison de la ruée des investisseurs sur les obligations éligibles au programme de la BCE, l'écart entre les rendements sur les obligations d'entreprise de qualité « investment grade », et les obligations financières n'avait plus été aussi important depuis 2013 ! Selon les données de Bank of America, le rendement moyen sur les obligations d'entreprises non financières a chuté à un niveau de 0,86 %, tandis que celui sur leurs consœurs non financières a flirté avec un taux de 1,2 %.
    • Les obligations détenues par Engie SA, Siemens AG, Anheuser-Busch InBev, Renault et Volkswagen (les cinq émetteurs ayant participé à la première vague de rachat des obligations d'entreprise de la BCE), ont, entre autres, progressé depuis les résultats du Brexit.
  • À court terme, il est difficile de poser un scénario très baissier sur les titres de créance européens de bonne qualité alors que la BCE constitue un acheteur majeur. Depuis le 24 juin, la banque centrale a acheté des obligations d'entreprise d'un montant de 4,9 milliards d'euros depuis le 8 juin où elle a débuté ses achats. Elle est intervenue sur le marché au moment où son président, Mario Draghi s'efforçait de stimuler les investissements et la croissance au sein de la zone euro. Selon les indices Bloomberg, le rendement moyen des obligations d'entreprise de qualité « investment grade » a dégringolé à un niveau de 0,7 % (soit son pourcentage le plus bas en plus d'un an) et leur prime de risque a atteint 0,3 %. Mais il s'agissait de la situation avant Brexit. Au terme du scrutin, leur prime de risque a atteint 0,37 %, marquant ainsi une légère hausse.
  • Alors que les ventes d'obligations émises par les entreprises se sont écroulées en raison des inquiétudes planant sur le choix éventuel du Royaume-Uni de quitter le groupe des 28 nations (les émissions totales diminuant de 8 % entre les premiers semestres 2015 et 2016), les sociétés bénéficiant de coûts d'emprunt plus faibles ont émis plus de 60 milliards d'euros dans des titres libellés dans la monnaie unique en mai et juin.
  • La BCE fausse le marché du crédit. Les investisseurs qui recherchent des rendements plus élevés sont en proie avec le programme de la BCE, contraints à errer aux quatre coins de la planète en quête de rendements décents. Ils craignent à présent que la Banque centrale ne les noie et ne leur rende la tâche encore plus ardue. Ils sont retranchés dans des situations inconfortables, par exemple, les secteurs de la dette à haut rendement pour lesquels ils se retrouvent parfois entièrement démunis.
    • En 2012, Mario Draghi avait commencé à ébranler les marchés européens de la dette. Il avait alors promis de faire tout ce qu'il faut pour sauver l'euro et avait présenté un programme de rachat d'obligations illimité, baptisé le Programme de rachat de dettes (OMT).
    • Il a à nouveau secoué les marchés en procédant à un abaissement inopiné des taux d'intérêt en novembre 2013 et en abaissant le loyer de l'argent à trois reprises par la suite, entraînant le taux directeur de la BCE à un niveau nul pour la toute première fois en mars 2016.
    • Et à l'heure actuelle, la BCE étend son programme de rachat d'actifs pour y inclure des obligations d'entreprise ainsi que des obligations couvertes, des titres adossés à des actifs et de la dette souveraine.
    • Les rendements des obligations d'entreprise de qualité « investment grade » ont franchi pour la première fois la barre de 1 % l'année dernière lorsque Mario Draghi a élargi le programme de rachat d'obligations. Ils avaient alors atteint un très faible taux de 0,93 % en mars 2015 avant de retrouver un haut niveau de 1,58 % en septembre. Les rendements ont perdu du terrain alors qu'ils étaient à environ 4,5 % à l'apogée de la crise de la dette souveraine en 2011 et 7,3 % en 2008, le taux le plus élevé jamais enregistré depuis 1996.
  • Par ailleurs, n'oublions pas que, selon Standard & Poor's, les perspectives pour les emprunteurs « corporate » n'ont plus été aussi mauvaises depuis la crise financière mondiale.
    • Le nombre d'émetteurs susceptibles de subir une rétrogradation de la part des agences de notation n'a plus été aussi élevé par rapport à celui des sociétés susceptibles de bénéficier d'une amélioration de leur note depuis 2009. S&P envisage ainsi d'abaisser le rating de 17 % des sociétés qu'elle suit. À titre de comparaison, elle envisage d'améliorer la note de 6 % des émetteurs. Cet écart, de 11 %, est deux fois plus élevé qu'en juin 2014 !
    • D'un point de vue géographique, c'est l'Amérique latine qui présente l'écart le plus important, avec 35 % de rétrogradations possibles en plus. Dans la région Asie-Pacifique, en Amérique du Nord et en Europe occidentale, l'écart avoisine 10 %. Chez S&P, 35 % des sociétés bénéficient d'une note « B ». Il s'agit donc du rating le plus couramment attribué, cinq crans au-dessous du rating « investment grade ». 

2.4 Obligations à haut rendement (notes inférieures à « BBB- ») : sous-pondérer

  • Depuis l'abaissement inattendu des taux d'intérêt lors de sa réunion où il occupait pour la première fois la présidence de la Banque centrale européenne, Mario Draghi a montré son penchant pour franchir la limite. L'intervention de la Banque sur le marché des obligations d'entreprise n'a pas dérogé : l'achat d'obligations de pacotille. Lors du premier mois, les rachats concernaient notamment des titres de Telecom Italia. Tant Moody's que Standard & Poor's ont attribué des notes de qualité spéculative à cet émetteur qui est la plus grosse compagnie de téléphone italienne. Les obligations de celle-ci remplissent uniquement les critères du programme de rachat de la Banque centrale car Fitch Ratings lui a attribué une note « investment grade ».
  • En jetant son filet aussi loin que le programme le lui permettait (Telecom Italia se situant clairement aux confins du champ d'application du programme de rachat de la BCE), Mario Draghi a garanti que les rachats d'obligations d'entreprise seraient d'emblée une pêche fructueuse.
  • Selon les personnes bien au fait des ventes, la banque a également acheté des titres auprès d'Anheuser-Busch InBev, le premier brasseur au monde, Siemens, la plus grosse société d'ingénierie d'Europe, le constructeur automobile français Renault et les sociétés de services aux collectivités, Engie et RWE. Ces sociétés possédaient uniquement des notations investment grade, mais la Banque centrale a déclaré qu'elle pourrait conserver les titres même si ceux-ci se voyaient privés de cette notation. Les investisseurs peuvent donc se rassurer que la BCE ne se débarrassera pas sur-le-champ des obligations si les notations de celles-ci cessent de respecter les critères de rachat.
  • À la suite de la promesse de rachat par la Banque centrale, les investisseurs se sont donc tournés vers les obligations d'entreprise, en faisant ainsi augmenter les prix et diminuant les coûts d'emprunt. Le rendement moyen et la prime de risque des obligations libellées en euros et à haut rendement sont passés à 4,04 % et 4,6 % respectivement, soit leurs niveaux le plus bas depuis de nombreux mois, pour rebondir ensuite à des niveaux respectifs de 4,8 % et 5,3 % à la suite du résultat du scrutin sur le Brexit.
  • Puisque les investisseurs sont retranchés dans des situations inconfortables, par exemple, les secteurs de la dette à haut rendement, le prochain défaut d'une entreprise, au moment de sa survenance, pourrait leur faire plus de mal qu'ils ne le pensent. Les pertes sur les obligations des sociétés en défaut de paiement seront probablement plus importantes que lors des cycles précédents, car les émetteurs (surtout aux États-Unis) présentent un taux d'endettement plus élevé par rapport à leurs actifs.
    • Les niveaux d'endettement ont augmenté, car de plus en plus de sociétés ont recouru à l'emprunt pour refinancer leurs dettes existantes, racheter des actions et prendre d'autres mesures qui ne font pas grimper les valeurs des actifs. Les dépenses d'investissement, qui font gonfler les actifs, sont en revanche restées relativement faibles durant ce cycle. Selon des données de Bank of America Merrill Lynch, les firmes spéculatives possèdent une dette équivalant à environ 48 % de leurs actifs, soit une hausse de 7,5 % sur ces sept dernières années.
    • Un autre facteur réside dans le taux de défaut, car plus le nombre de sociétés en défaut de paiement augmente, plus il y a de sociétés qui cherchent à vendre des actifs ou à se restructurer, ce qui signifie que les investisseurs récupèrent moins. Selon Moody's, les taux de défaut tournent actuellement autour de 4 %. L'agence de notation estime que ce chiffre grimpera à 5,05 % d'ici à la fin de l'année dans le meilleur des cas et pourrait atteindre 14,9 % dans le pire des scénarios.
    • La faiblesse des prix des matières premières pourrait également nuire aux taux de récupération.
      • Le brut s'échange actuellement autour de 48 dollars le baril, une baisse (environ 65 % par rapport à mi-2014) suffisamment importante pour que certaines firmes commencent à ne plus pouvoir honorer leurs engagements. Certaines firmes énergétiques seront en mesure de négocier une réduction de leurs dettes avec leurs bailleurs de fonds. Mais une grande partie d'entre elles ont des coûts de production trop élevés, même sans tenir compte de leurs coûts d'emprunt, ce qui signifie que leurs créanciers n'auront d'autres choix que de demander leur liquidation.
      • Parallèlement, la moitié des emprunts des émetteurs spéculatifs dans les secteurs des métaux, des mines et de l'acier sont en difficultés. La proportion des obligations considérées comme en difficultés sur le marché est, par conséquent, passée à la mi-février à 18,7 %, le niveau le plus élevé depuis 2011 selon S&P. Il est donc probable que de plus en plus de sociétés demandent aux détenteurs de leurs titres d'accepter une restructuration de la dette afin d'éviter la faillite.
  • Le potentiel de hausse des primes de risque signifie que, de manière générale, les obligations spéculatives ne rémunèrent pas suffisamment les investisseurs pour les risques qu'ils prennent. Si détenir un portefeuille d'obligations spéculatives jusqu'à leur échéance aux taux actuels pouvait encore permettre d'obtenir un rendement positif, nul doute que l'augmentation des défauts de paiement et des pertes sur ces titres pèserait sur les cours dans les prochains mois.